Benoît Huot réinvente le fil du temps à l’aide de ses créatures-fétiches qui semblent venir d’Afrique ou d’Océanie. Quelles stèles funéraires exhume-t-il là au jour le jour de son imaginaire ? Il invente l’homme de Montivernage, venu d’immémoriales dynasties, ouvreurs de chemins, bêtes fabuleuses qui manifestent des puissances surnaturelles, tout un monde occulte que l’artiste fait affleurer jusqu’à nous.

Créatures fondatrices d’on ne sait quel clan puissant et guerrier en même temps qu’immensément féminin, matriarcal peut-être, lignée de maternités archaïques veillant sur des chars funèbres où se décomposent d’artistiques et effroyables charognes. Corps intemporels datant d’avant les débuts du temps, quand le paradis était encore ouvert, la parole ininventée, la frontière encore floue entre les hommes et les bêtes. Créatures donc, auxquelles l’artiste donne vie avec toiles, goudrons, vernis, rubans, mannequins, fer forgé, miroirs, bouts de bois, cordages, têtes d’animaux naturalisées, fleurs et chardons séchés, os de bêtes, guirlandes lumineuses ; il assemble, colle, coud, et peu à peu formes et couleurs issues de ce voyage poétique et violent donnent naissance, clarté, lumière et vie paradoxale à ces leçons de ténèbres qui célèbrent les noces de l’immémorial et de l’éphémère.

Fétiches dignes de figurer dans un musée des arts premiers : oeuvres d’un authentique primitif atypique qui se cache parmi nous, retrouvant chaque jour d’anciennes voies de communication avec l’invisible.

Alors là, dans ce village montagnard et forestier, où il travaille, advient cet étonnement des vieillards comme des enfants, cet effroi devant l’énigmatique char funéraire d’on ne sait quel Roi échappé d’Homère ou de Borges, et cependant si présent, si puissamment charnel là devant eux, et chaque spectateur a des gestes d’admiration et de terreur mêlées, face à la mythique dépouille dans son sarcophage et les terribles gardiennes familières et solennelles, couvertes de fétiches pour les rituels et la magie, qui, dans la traversée de cette nuit des temps, l’accompagnent.

Tout autour, la montagne, silence et solitude, les arbres fantomatiques dans la brume mouvante du petit matin. Tout, là, dit le double mystère de la genèse du monde et de notre destination de ténèbres.