Benoit Huot nous invite à un voyage dans les lisières, avec une installation démesurée, constituée d’une forêt de totems, près de trente sculptures, parmi lesquelles nous sommes invités à pénétrer et à cheminer afin de vivre une expérience immersive. Ces oeuvres, érigées à tambour battant – réalisées à partir d’animaux taxidermisés, mais aussi recouvertes de tissus, passementeries ou breloques – font notamment penser à des poupées Kachinas grandeur nature incarnant des esprits, convoquant des forces, prêtes à danser pour quelques rites. Toutes contiennent des secrets, tels des reliquaires africains, gardiens des âmes, gardant précieusement en leurs corps des éléments organiques : des os, des poils, des dents, des têtes, qui sont tout autant de vecteurs d’énergie que de protection.

S’il nous faut traverser cette forêt, c’est pour rejoindre un lieu et un temps précis que Benoit Huot appelle sa « Nuit du Paon ». En effet, le paon, cet oiseau majestueux au plumage chatoyant, est symbole de résurrection. Le paon est une sorte de passeur, acteur principal d’une nuit vécue par l’artiste il y a plus de vingt-cinq ans, dont il peut rendre compte aujourd’hui. Le paon, en ouvrant une certaine porte entre les règnes, a permis une vision, celle de la mort, mais aussi son évitement, plaçant l’oeuvre sur une ligne de crête, dans ce territoire de l’ambiguïté extrême, où les ancêtres parlent aux vivants. Cette nuit-là est incarnée par une momie de feu, d’un rouge vif, édifiée à l’échelle du corps de l’artiste : parler de momie n’est pas un vain mot, tant sa peau est tannée, habitée par le temps, depuis l’offrande sacrificielle à certaines divinités que nous pouvons imaginer. Cette présence semble en lévitation, tout en phosphorescence, et nous appelle à la destruction comme à la renaissance.

Sans doute faut-il avoir frôlé la mort pour devenir artiste. Sans doute est-ce une question de vision, et de mise en condition d’un certain corps, rendu capable de voir, à ses risques et périls, ce que jamais des yeux n’ont vu.