Par des chemins de traverse, Benoit Huot s’est ouvert une voie originale vers des territoires qui n’appartiennent qu’à lui. On cherchera en vain à le faire entrer dans une de ces cases qui offrent le confort intellectuel d’analyses bien rodées, car s’il fallait dire où il se situe dans le paysage artistique, la seule réponse satisfaisante serait « ailleurs », terme qui, à ce jour, échappe encore à la cartographie. A moins qu’on ne s’autorise un néologisme à la manière de « l’outrenoir » de Soulages, et qu’on ne le situe « outrepart », ce qui lui irait assez bien aussi. Cet « ailleurs » qui est celui de son regard rêveur, c’est aussi ce monde invisible de l’au-delà dont il a reçu l’intuition forte dès l’enfance, au point de constituer le sujet principal d’une oeuvre en dehors des cadres. (…) C’est ainsi que son intuition peut rendre manifeste aux yeux de tous l’union spirituelle de l’homme et du cosmos, le lien entre ce monde et l’au-delà, la continuité du Tout, lisible dans sa plus infime et intime partie.

(…) Pas plus qu’il ne permet de résoudre le mystère de la vie et de la mort, l’intellect n’est ici d’aucun secours, car personne ne peut vraiment décrypter les strates de cette présence animale diffuse, mais elles animent la surface d’un subtil vibrato qui met en branle le jeu des émotions, un peu comme les superpositions de glacis dans les peintures de Rothko.
L’oeuvre échappe à l’analyse, car même si on connaissait le détail de l’assemblage, l’addition des parties ne permettrait pas d’appréhender le tout. Elle appelle un autre regard, celui qu’avait Baudelaire, lorsqu’en face d’une toile il préférait la plongée contemplative au balayage analytique de la surface, et percevait ainsi « d’invisibles racines enfoncées dans un espace du dedans, dans la vie intérieure d’un homme ».

En décalage avec son époque, Benoit Huot s’inspire des rites funéraires des civilisations archaïques. C’est pourquoi les arts premiers de tous les continents, de l’Amérique précolombienne à l’Asie, sans oublier l’Afrique et l’Océanie, imprègnent son esthétique et constituent pour son oeuvre une source de nourriture essentielle.(…) C’est par le même processus organique d’assimilation et de recréation que mûrit son travail artistique, et que les mythes anciens fécondent son imaginaire, dans une relation en miroir avec le perpétuel cycle de la vie et de la mort.

(…) Ainsi, l’art singulier de Benoit Huot témoigne avec éclat de l’héritage spirituel des peuples du monde, tout en affirmant la démarche syncrétique d’un mysticisme profane, libre de toute attache sectaire. Sans opposer les cultures, son oeuvre protéiforme s’enrichit de leurs différences, elle les fait dialoguer librement dans la polyphonie d’un grand opéra baroque qui s’écoute avec le coeur. C’est sans doute cette liberté qui lui permet de parler à chacun d’une langue poétique universelle, à l’alphabet retentissant de couleurs et de formes. Cette langue subliminale, régie par la seule grammaire des émotions, c’est la langue de la danse chamanique, la langue silencieuse du sensible, la seule capable de transmettre les intuitions ineffables qui émanent de cette Nature dont l’animal incarne la dimension mystique.