Les statues de terre évoluent parmi les statues humaines, immobiles comme des statues de pierre. Dans l’espace, ces titans argileux anthropomorphes, aux pattes de mammifères ongulés fabuleux, sont dressés et hérissés de férules païennes, d’amulettes et de figures totémiques. Leur présence primordiale fertilise l’espace. Leur aura brouille les repères, les distinctions de domaine. Leur syncrétisme brutalise les cloisonnements et les sectarismes.
Ces hérauts chimériques sont ébouriffés de croyances statufiées, arrachées à leurs particularismes historiques. Ces cerbères transfigurés sont parés d’étoles et d’orfrois, cinglés de cordons rouges et noirs, couverts de grappes de pendants et de breloques talismaniques, historiés de rubans flottants, comme les wish trees s’élevant au-dessus des pierres levées vieilles de quatre mille ans dans le sud de la primitive Angleterre. Des roues palladium voisinent avec des poupées de chiffon tout à la fois amérindiennes, africaines, océaniennes. Des têtes de crâne chevauchent les airs, les yeux rouges à tue-tête, prodigues en flux de cheveux noirs épais. Ce sont des hydres à tête de phacochères, gardiennes des temps ancestraux entièrement préservés par la faculté humaine de représentation qui toujours cherche à représenter l’irreprésentable : la mort.
Benoit Huot s’inspire des imageries rituelles célébrant la mort comme passage, double processus paradoxal de spiritualisation de la matière et de matérialisation d’un esprit insaisissable, ne pouvant figurer sa trace, son souffle, que par la matière. Les images correspondantes sont profuses, carnavalesques, bachiques. Avec le travail du sculpteur, elles se sont soulevées et boursouflées. Une vision de forces telluriques les anime, les rend féroces et innocentes, comme les animaux qui sont les émanations de la puissance de la Terre, et qui peuplent les représentations cosmogoniques de l’homme, fragile et calcifié, porté à bout de bras par la nature souveraine.

La mort ici s’expose dans le passage des tissus mous à la consistance et à la couleur minérale de la terre et dans l’évocation des rites rendant hommage à la couleur du sang.
Ici, le corps humain, séché et roide, ramené au squelette, évoque le processus de momification naturelle de dépouilles ancestrales amérindiennes, repliées en position foetale, recouvertes de plusieurs mantos jusqu’à disparaître sous ces recouvrements, formant de fardeaux funéraires. Les figures anthropomorphes et chimériques de Benoit Huot sont bien en effet lestées de fardeaux humains, mais le sculpteur, par la configuration choisie, à l’inverse de l’esprit du rituel funéraire, propulse la figure humaine en avant, en l’air, comme dans un train fantôme.

Benoit Huot joue des registres, traque les formes ambiguës de la matière qui vont tout d’un coup rendre fortement sensible le moment de bascule de l’inanimé à l’animé. A la recherche du déplacement du point de perception, et du moment de décharge émotionnelle, Benoit Huot modèle et assortit, peint, repeint, recouvre. Jusqu’au moment de trouble. L’ oeil rouge a cillé ? Ca n’a pas bougé à l’intérieur ? L’animal-idole, l’hydre folklorique, a durci, il a été recouvert, il s’est minéralisé, mais cette statufication, à travers le devenir-parure du corps, paradoxalement rend visible une âme, une âme corporifiée. La bille de l’oeil de l’idole, comme une sorcière placée là par Benoit Huot, reflète notre propre oeil à l’affût de l’esprit de la terre, qui retient et comprend l’esprit des morts.