(…) Je note le regard féminin de la biche, le museau humide. Elle ne peut sourire. Son regard est si doux qu’il en devient presque humain. Cette humanité chez l’animal peut être cause d’un certain malaise : d’une référence à l’autre, l’humain emprunte à la biche, et réciproquement, la biche devient humaine. D’où ce besoin de tendresse, un baiser sur le museau, ou la caresse d’un doigt, comme nous le faisons, nous autres, avec les animaux que nous aimons. Cette ambivalence du genre humain/animal interroge, provoque un certain déséquilibre, source d’hésitation du regard. Mais c’est aussi ce qui séduit et rassure.

(…) Ces biches, de nature fragile, vulnérable, traditionnellement entendues comme victimes, s’exposent maintenant au rythme de leur élégance souveraine. Elles composent une foule princière à la cour de Laurent de Médicis, entourées d’animaux, dans le long défilé des rois mages du Palais Medici-Riccardi, via Cavour, peint à la fresque par Benezzo Gozzoli, dans ce défilé que perpétue le cycle de la nature, de rois porteurs d’offrandes.
Ainsi les courtisanes de Benoit Huot rejoignent le cortège.
Biches, chasseresses et non chassées, c’est de caresse qu’il s’agit, à toucher le flanc de l’animal, puis à frôler son museau, quand la féminité impose sa présence, se glisse dans la conversation.

(…) Cet alphabet propre à Benoit Huot, une grammaire du textile, des perles et de la passementerie, un système personnel dont nous ignorons les codes. Nous portons ce faisant ce lourd fardeau du sens inaccompli. Les mots inachevés de notre existence, la perte de mémoire.

(…) Benoit Huot ne décrit pas la nature. Encore moins. Il est la nature. C’est un don particulier accordé par les animaux à qui leur ressemble. C’est pourquoi les statues/gazelles sont de taille humaine. Elles nous font part de leur silence, dressent un constat. Les habiller au même titre que je vêtirais un être humain, c’est les considérer. Ce n’est pas, non plus, réduire l’être humain à sa dimension animale.

(…) Benoit Huot dispose point par point les bornes esthétiques d’un territoire sans frontières. Nous y sommes à tour de rôle le monde dans son infinie représentation, légataires par la langue et par la couleur d’une composition universelle. Nous sommes porteurs du grand chaos, longeons le cratère d’où s’aperçoit le corps à corps des Géants et des Titans. Nous voici alors au point de voler le feu, de l’emporter loin de l’Olympe.